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ROBERT (Martial), Pierre Schaeffer : des Transmissions à Orphée, Paris, L'Harmattan, 1999, 13 planches, 416 p.

PRÉFACE

de Jean-Claude RISSET(1)

     Il y a une cinquantaine d'années, Pierre Schaeffer inventait la musique concrète : à ce seul titre, il laisse une trace décisive. Fini le refoulement des matériaux sonores illégitimes et des bruits : au delà des notes, la musique s'ouvre à tous les sons, elle ne sera plus jamais la même, comme l'avait bien vu le regretté Enrico Chiarucci. Sans recourir à l'abstraction de l'écriture, l'oreille - la perception- devient le critère de ce nouvel art sonore. Une aventure exaltante : Schaeffer en a fait lui-même la chronique dans son ouvrage À la recherche d'une musique concrète, qui vient d'être réédité(2).

     Pierre Schaeffer n'a pas voulu être seulement un inventeur, mais aussi un guide.  Au delà de la trouvaille, il a proposé une méthode et montré une voie vers un solfège des objets sonores et musicaux.  Edgar Varèse appelait de ses voeux un renouveau de "l'art-science" : Schaeffer a, le premier, institué une recherche musicale. Sa vision, sa ténacité, et aussi l'influence dont il a pu jouer de par sa position d'ingénieur dans le corps des Télécommunications, lui ont permis d'imposer cette institution "impossible et nécessaire" et de créer un groupe de recherches musicales, le G.R.M.

     Le G.R.M. a vécu sa vie propre : sous la direction de François Bayle, et depuis peu de Daniel Teruggi, il s'est affirmé comme un foyer essentiel de la création musicale et du patrimoine électroacoustique. Pierre Schaeffer s'est quelque peu démarqué de sa propre école : il déconseillait de composer avant d'avoir établi et maîtrisé le nouveau solfège des objets musicaux. Il n'a lui-même réalisé que peu d'oeuvres : plusieurs d'entre elles font date, mais il ne les a pas véritablement défendues. On peut à bon droit lui reprocher, car un créateur devrait se commettre dans ses productions - ou alors les retirer. Mais Schaeffer n'était pas seulement un homme de musique, il avait d'autres intérêts, d'autres activités. Quelques réserves qu'il puisse susciter - il ne faisait certes pas l'unanimité - il est indéniablement une figure de première grandeur qui a profondément marqué son temps, dans les domaines de la musique et de la recherche musicale, mais aussi de la radio et de la communication.

       À l'occasion du cinquantenaire de la musique concrète, de nombreux hommages ont été dédiés à Pierre Schaeffer sous forme d'articles, ouvrages et concerts. Personne peut-être ne s'est consacré autant que Martial Robert à l'étude de Schaeffer et de son parcours sans pareil. Lui-même compositeur électroacousticien, élève d'Ivo Malec et de Denis Dufour, chercheur et pédagogue, Martial Robert tient l'itinéraire schaefferien pour une voie royale : il a été envoûté par un personnage inclassable, ingénieur de formation, musicien, chercheur, écrivain - une "vocation de contre-emploi"(3) - et par sa profonde dimension humaniste.

     Martial Robert est un thuriféraire fervent et passionné - au risque de l'hagiographie ? Sa rédaction est enthousiaste et apologétique : elle vise à entraîner l'adhésion à la démarche schaefferienne plus qu'à la jauger et la replacer dans un contexte.  Il a tenu à travailler sur des archives publiques pour verser au dossier un très grand nombre d'éléments non entachés de subjectivité.  On peut sans doute évaluer différemment la signification de ces éléments, et contester certaines options, qui de toute façon divisent la communauté musicale : mais la richesse de la documentation est très précieuse. Les réfractaires trouveront chez Martial Robert une défense convaincue de la logique des positions schaefferiennes, au delà de la seule musique.  L'homme Schaeffer est un, l'expérience du musical est constitutive de l'humain, "l'homme, à l'homme décrit, dans le langage des choses". Martial Robert est particulièrement sensible à ce point de vue, et il a tenu à éclairer les différentes facettes de la personnalité et du travail de Schaeffer. Aussi le présent ouvrage, qui traite de l'origine et de la théorie de la musique concrète, s'accompagne-t-il de deux autres, qui mettent l'accent sur les activités de Schaeffer concernant communication, formation et information, pédagogie et sciences humaines.  

    On peut résister à la démonstration, et douter du souci de l'humain comme garant esthétique. On peut être moins sceptique que Schaeffer sur l'art de notre époque, qui est souvent mieux qu'un syndrome.  On peut - c'est mon cas- croire que l'ordinateur peut être profitable si l'on n'en fait pas un repère, une fin ou un alibi, mais un moyen de microchirurgie sonore, de représenta­tion et d'écriture : un outil universel, selon Michel Serres, ou mieux, suivant François Bayle, un atelier aidant à développer les outils d'un savoir et d'un savoir-faire matériel autant qu'intellectuel.

    

Mais, Valéry l'a fait remarquer, l'homme est grand par ce qu'il affirme plus que par ce qu'il nie. L'ouvrage de Martial Robert nous rappelle fort à propos les mises en garde salutaires de Pierre Schaeffer, dont les critiques comportent toujours un aspect positif, soulignant des fins à ne pas oublier - et peut-être par dessus tout l'importance essentielle de l'écoute, médiation obligée mais non transparente : "la musique est faite pour être entendue".

Jean-Claude risset

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(1) RISSET (Jean-Claude) (1938), compositeur et chercheur fr. Elève de Jolivet, il a rencontré étroitement Varèse. Dans les années 60, il effectue pendant trois ans aux laboratoires de la Bell Telephone à New-York, des recherches déterminantes sur la synthèse des sons par ordinateur aux côtés de l'initiateur Max Mattews et en association avec Guttman et Pierce. Il publie en 1969 un catalogue de sons synthétisés par ordinateur. Entre 1970 et 1971, il dirige la mise en œuvre d'un système de synthèse des sons à Orsay (C.N.R.S.), participe aux travaux de l'E.Ma.MU. de Xenakis et enseigne à Stanford University, au Darmouth College et au Summer Electronic Music Institute (1978). De 1976 à 1979 il fut directeur du département "ordinateur" de l'I.R.C.A.M. Entre 1971 et 1985, il poursuit ses recherches à l'Université de Marseille-Luminy puis devient en 1985, Directeur de recherche au C.N.R.S. (Laboratoire de Mécanique et d'Acoustique). Ses oeuvres sont entièrement synthétisées ou avec l'aide des instruments cherchent à faire la liaison entre les deux mondes dans un style plutôt rassurant. Son travail remet en question quelques barrières et préjugés. 1er prix de musique numérique au festival international de musique électroacoustique de Bourges en 1980. Grand Prix de la musique symphonique de la S.A.C.E.M. (1981). Médaille d'argent du C.N.R.S. (1988). Grand Prix National du disque (1990).

(Dictionnaire de la Musique, "Les hommes et leurs œuvres", (sous la dir. de Marc HONEGGER), Paris, Bordas, 1986 ; Dictionnaire de la musique française (sous la dir. de Marc VIGNAL), Paris, Larousse, 1988 ; Dictionnaire de la musique, "les compositeurs", (sous la dir. d'Alan PARIS), Encyclopaedia Universalis, Albin Michel, 1998.)
(2)Aux éditions du Seuil, 1 : 2è tri. 1952, 2 : janv. 1998.
(3)
Si toutes les expressions entre guillemets, employées par J.-Cl. Risset, sont de P. Schaeffer, celle-ci est survenue à notre esprit en 1993 pour qualifier l'attitude schaefferienne, ce, influencés par la lecture de l'article "P.S. ou l'esprit de contradiction" dans lequel Schaeffer précise : "Je me donne volontiers comme un exemple de contre-emploi" (in La jaune et la rouge, revue mensuelle de la société amicale des anciens élèves de l'X, Paris, avril 1976, n° 310, p. 15.) (N. de l'auteur.)

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